Sunday, June 10, 2007

 

chapitre 57

Quarante jeunes sont présents dans la salle où le groupe reçoit le commissaire de police de Vénissieux. Celui-ci tiendra tête toute la soirée, répondra point par point, affirmera son rôle de gardien de l'ordre, développera son point de vue sur les diverses affaires qui émaillent la vie des Minguettes. Cependant, la réunion a commencé comme un meeting, ou plutôt comme une mise à mort. La police est l'ennemi total et les premières attaques provoquent des applaudissements dans la salle. On va jusqu'à suggérer que les gens ne sont pas racistes, que seuls les policiers le sont. Le commissaire se fait tutoyer, à l'inverse de ce qui se passe dans les commissariats. La délinquance, comme telle, est refusée en bloc, elle est la juste réponse à la violence policière. Le commissaire précise que le nombre de cambriolages à Vénissieux est passé de 93 au premier semestre de 1981 à 287 au premier semestre de 1983. D'ailleurs, ajoute-t-il, il vaut mieux que la presse ignore ces statistiques afin de ne pas renforcer la mauvaise réputation des Minguettes. Les vols à la roulotte sont passés de 286 à 889. La délinquance existe donc et il faut bien que la police intervienne. Nullement. La répression est démesurée par rapport à la délinquance et elle est essentiellement guidée par la haine des jeunes et des immigrés. Dans une confusion extrême, Farid explique : " Il y a violence policière et ça, c'est peut-être de la délinquance! On dit que la police à le droit à l'erreur mais les jeunes, eux, n'ont pas le droit à l'erreur." Le rapport habituel est totalement inversé ou plûtot, les acteurs sont "à égalité" et la violence policière conduit à "revendiquer" la délinquance comme une conduite de rage normale. "Ce ne sont pas les délinquants qui représentent la violence", dit une fille. L'impossibilité de porter plainte, les tabassages au cimetièr, les provocations et les flics qui "braquent les mères", les interventions musclées dans le cafés, les propos racistes, les sympathies pour Le Pen... La discution durera près de deux heures. Chaque jeune évoque sa propre histoire, souvent délinquante, ou celle de ses frères et de ses amis. Tous les sentiments de domination, l'impression d'être rejeté, écrasé, humilié, se cristallisent sur la police qui donne enfin un visage à la rage. La police divient le symbole d'un ordre bien plus large qu'elle-même, arbitraire et violent. La violence policière n'est pas ressentie comme l'expression d'une domination sociale plus large; elle est pure violence parce qu'il ne semble plus y avoir de rapports sociaux. Cependant, la rage ne tient pas seulement à l'effacement d'un rapport social, elle procède aussi de l'absence de références culturelles susceptibles de conduire et d'être l'enjeu de ce rapport. Le jeu est plus proche de la guerre que du conflit social.

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