Saturday, May 26, 2007

 

chapitre 52

Le plus enragé d'entre eux est, depuis la Marche, employé comme JeuneVolontaire par la municipalité, ce que l'adjoint au maire lui fait remarquer avec amertume. Là aussi, la rage emporte tout et rend la fusion du groupe d'autant plus impressionnante qu'il est entouré de plus de trente jeunes qui le soutiennent et le poussent. Si la rage se manifeste de façon aussi spectaculaire, si la haine crée la fusion du groupe et tire tous les jeunes vers elle lors de ces rencontres violentes, elle reste souvent latente dans la plupart des débats et paraît incarnée par certains jeunes qui semblent toujours être au bord de l'explosion physique.

 

chapitre 51

Sous une forme aussi aiguë, la rage est au centre de la rencontre du groupe des Minguettes avec l'adjoint au maire de Vénissieux qui, lui aussi, est plein de bonne volonté et ne manque pas de courage en venant discuter dans le "terroire" du groupe. Il se heurte à une agression en règle. Le vandalisme, la délinquance, la violence physique, tout est justifié.

 

chapitre 50

La haine contre politique est absolue. "Giscard, c'est pareil". "Des cons de phrases. Il y en a un, il a parlé cinq minutes, il a dit plein de phrases, il a dit plein de conneries." Rosa précise : "Les gens rapport àleur demande. C'est des choses qu'on croit que c'est pour eux, mais enfait, c'est pas pour eux." Les autres ajoutent: "Giscard et ses châteaux.. gauche plus humaine, nani, nana... quant à Chirac, c'est un maquereau, un proxénète, et Le Pen un faciste." Quand aux communistes, à la mairie, ils nous "prennent la tête, ce sont les pires." On se lève, on déclame, le groupe existe et a le sentiement de triompher par la rage.

 

chapitre 49

Le député, une femme, déclare en préambule qu'elle "se sent très à l'aise parmi les jeunes" et parle du béton, du chômage, de l'avenir bouché... Elle explique les efforts du gouvernement, ceux des municipalités, dont il est vrai qu'ils sont loin d'être négligeables en ce qui concerne la formation des jeunes et les stages auxquels quelques-uns participent dans le groupe. Rosa suit une formation d'animatrice, comme Jeune Volontaire, dans une université, mais c'est elle qui ouvre le feu par l'ironie : "C'est ça, c'est ça la France, des relations plus humaines!" Nasser parle del'école où "il était tabassé". Quant aux stages : "Allez-y, madame, vous verrez, allez-y, vous allez comprendre!" "Si on est là, ce soir, c'est parce qu'il faut se battre!" Mais on ne parle ni travail, ni usine, ni patron, il faut se battre contre le monde "d'en haut" que représente le député qui ne peut ni imaginer ni comprendre l'expérience des jeunes. Alors tout est combattu de façon absolue, rien ne peut être sauvé ni même discuté, il faut simplement que la rage se développe et s'exprime, joue à détruire un monde qui semble alors détesté, qui serati le "mal" s'il existait une image du "bien". Mais comme l'acteur participe lui-même du mal, le sujet s'autodétruit. On est bien au-delà de toute tentative de discussion et d'explication, et le député qui devait partir en cours de séance restera là, jusqu'à la fin, atterré.

 

chapitre 48

La haine se porte contre tout, y compris contre l'acteur lui-même, et devient un sentiment total qui écrase toutes les autres dimensions de l'action.

 

chapitre 47

La rage se manifeste en face des interlocuteurs qui incarnent l'ordre et la domination, les acteurs politiques, les syndicalistes et les policiers, comme expression de la violence pure. Cette domination n'est pas forcément vécue comme "totale", mais elle n'a pas de "sens" et ne repose sur aucune représentation des rapports sociaux à partir de laquelle une action puisse être organisée. Le député de gauche qui rencontre le groupe de Champigny affronte une sorte d'"émeute à froid", de haine qui emporte tout, qui ne vise pas à proprement parler un objet, mais la domination comme telle.

 

chapitre 46

Le vol serait une forme de redistribution. "Moi, je dis que le vol, dans une grande mesure, il emmerde personne parce qu'on vole les riches." Mais cette technique est beaucoup moins effice que la précédente, celle des problèmes personnels et de la "boule de billard", chacun dans le groupe ayant été victime des voleurs tout en étant lui-même un peu voleur

 

chapitre 46

Il y les perdants et les gagnants, et tout le monde cherche son intérêt. "Le principe est de gagner beaucoup d'argent sans se fatiguer et si j'ai la facilité, je prends la facilité". Biche, un garçon d'Orly, explique devant le juge que le métier de proxénète lui conviendrait :"Moi, je vois les mecs qui travaillent pas et qui ont des liasses de billets sur eux. Moi, je vais travailler, toutes les fins de mois, j'aurai une paye et quinze jours après, plus rien. Les autres, ils s'éclatent encore... Ca te plairait pas d'être proxénète? Moi, je passe et prends la liasse de billets. Pourquoi pas?

 

chapitre 46

L'expression du sentiment de frustration est associée à une vision des plus conformistes de l'avenir désiré : une maison, une femme, une voiture, un boulot "peinard" et bien payé. Il n'es pas nécessaire d'imaginer de vivre autrement ou de vouloir beaucoup monter pour se sentir bloqué. "Les stages sont payés à 25% du SMIG, ça suffit pas, donc il faut laiser tomber les stages pour trouver quelque chose qui peut rapporter gros, on peut toujours se démerder autrement" Parfois, cette logique se transforme en une sorte d'éthique, comme si la rationalité ainsi découverte donnait le esn profond de la vie.

 

chapitre 46

La frustration est plus souvent liée au fait de ne pouvoir vivre normalement. La vie de la cité, si pourrie et si pauvre, n'est pas la vie normale. Il faut pouvoir sortir et avoir les loisirs de tout le monde, aisi que le dit Sylvain : "Il y a pas de responsabilité, il y a pas de travail, donc, il y a pas de loisirs, donc on va voler pour s'habiller car il faut s'habiller dans notre société. C'est basé sur des choses superficielles, mais on est contraints, et c'est oute la société qui nous tombe dessus après, c'est les délinquants. Ils ont envie de s'intégrer, les délinquants, car aller voler des sapes, c'est une manière de s'intégrer, mais on n'a pas d'argent, on n'a pas de boulot, parce que la société n'est pas faite pour les jeunes. Lui-même, qui possède une voiture, se voit comme un pauvre. Nasser, à Champigny, qui a une superbe moto, se perçoit aussi de cette façon.

 

chapitre 46

Le ton change totalement : "Le vol, c'est un moyen facile de se procurer du fric", dit-on aux Minguettes. C'est ce que pensent aussi les jeunes de Clichy, qui ne le disent pas devant le policier; ils préfèrent mettre en avant les problèmes personnels, mais ils développent volontiers cette idée devant les chercheurs. Le besoin d'argent procède parfois de la pauvreté et l'immédiate nécessité; Pascal à Orly l'explique bien : "Il faut savoir pourquoi tu fais un casse. C'est souvent parce que tu en as ras le bol, les gens te croient pas quand tu dis que tu es au chômage. La merde, ça existe. Et des fois, tu sais pas quoi faire pour t'en sortir." Mais il faut bien admettre que cette image de la misère n'est pas dominante parce qu'aujourd'hui Jean Valjean a souvent besoin d'autre chose que d'une miche de pain.

 

chapitre 45

La société est perçue comme un ordre immuable et toutes les énergies qui restent sont mobilisées pour la survie. Il se créé une conscience mélancolique où le jeune laisse les événements décider pour lui. Cette dérive est décrite dans la dérision, le désespoir et les petites combines à courte vue puisqu'il n'y a pas de projet et pas d'avenir. "Mon avenir, je ne le voit pas, c'est tout." Le sujet se replie et se défait et il n'a plus la capacité d'accepter le travail proposé ou l'effort nécessaire à l'examen. "Le réveil ne sonne pas", "J'ai oublié d'aller au boulot", "C'est trop looin", "J'ai raté le bus", "J'y suis allé un jour et j'ai compris"... Ces "accidents" vont bienau-delà de la "fainéantise" parce que "moi, au fond, dit un jeune de Clichy, je ne suis pas fainéant". "J'arrive pas à m'en sortir, c'est tout... Je laisse le temps arriver comme il arrive." Le sentiment d'impuissance est total; plus rien ne peut advenir et l'on fait que rien n'advienne. "On n'a pas de bases, pas du but. Tout le monde nous ferme la porte. j'ai dix-sept ans, j'ai fait un stage, mais un stage, j'en ai rien à faire." Chantal explique : "J'ai rien appris à l'école, j'ai pas le niveau, c'est bouché partout, mêem aide-soignante dans un hôpital, je peux pas." Alors, plutôt que d'échouer encore une fois, Chantal ne fait plus rien. S'il est une image douloureuse de la galère, c'est bien celle-ci, celle de l'enchaînement des échecs, du sentiment d'être hors jeu et ne plus avoir envie de jouer.
La seconde face de l'exclusion est celle de la frustration; parce que le désir de participation conforme reste vivant et ne peut être satisfait, il conduit souvent vers des statégies de type délinquante.

 

chapitre 44 bis

Ca m'intéresse pas l'école, j'ai pas la volonté , mais c'est dans la tête, dit un jeune de Clichy. Il faut dire "qu'on a pas été aidés, on n'a rien au départ et on n'a rien au départ et on n'a rien à l'arrivée." Mais la velléité de critique sociale est écrasée par le sentiment d'échec personnel. Le même raisonnement se constitue à propos du travail, "c'est pas vrai que les jeunes ont envie de travailler, ils veulent claquer du fric." Le groupe de Clichy prend même plaisir à développer cette image jusqu'à la tourner en dérision. Lorsque ce groupe reçoit un patron qui lui tient le discours du dynamisme personnel, du désirde réussir, de la volonté de travailler et de s'en sortir, les jeunes répondent : "Nous, on est des fainéants." "J'ai bossé un mois dans un atelier de mécanique et depuis, je laisse tomber. Je ne cherche plus rien parce que je suis fainéant." Après tout, cette ironie est unefaçon de gérer l'exclusion du travail.

 

chapitre 44

L'exclusion est vécue comme un échec personnel, notamment par le biais de l'échec scolaire.Sortis de l'école depuis quelques années, les jeunes "regrettent" de ne pas avoir travailleé et ont même la nostalgie des enseignants les plus sévères qui, paraït-il , auraient pu les tirer de là malgré eux. Dans le fond, si on échoue, c'est de notre faute. "On était des branleurs, les parents auraient dû nous pousser et nous tenir." Que de bons conseils reçoivent les petits frères de la part des aînés qui disent en même temps qu'ils ne travaillent guère dans les stages "pipo" qui leurs sont proposés. On échoue aussi parce qu'on est "bêtes". "Le français et les maths, ça me prend la tête", dit Louis. C'est trop difficile "parce qu'on est bêtes, les parents s'en foutent parce qu'ils sont bêtes". Sur le tard, les jeunes n'en veulent pas aux enseignants et acceptent leur échec comme le leur.

 

chapitre 43

Les enseignants craquent parfois et disent aux jeunes ce qu'ils ont sur le coeur contre ces cités. Tous les jeunes racontent les changements d'attitude policiers qui repèrent leur adresse lors des contrôles d'identité. L'appartenance à la cité stigmatise et fait peser un soupçon de culpabilité. "Déjà la façon de te regarder!" Les jeunes immigrés se sentent évidemment encore plus exclus et rejetés dans la recherche d'emploi et par la police unanimement perçue comme raciste. La vie quotidienne est ponctuée par cette exclusion. Dans le bus, on ne demande leur billet qu'aux immigrés; à Lyon, "On nous regarde d'une drôle de façon lors des contrôles d'identité, ils n'arrêtent que les Arabes et les Noirs". Mais si les jeunes immigrés, ressentent plus que les autres le rejet, tous le partagent parce qu'il s vivent ensemble dans les mêmes cités et parce qu'ils sont chômeurs et pauvres, comme l'explique Sylvain, un jeune Français des Minguettes. "Il y a un racisme pas seulement au niveau de la race, mais au niveau du fric. A Lyon, les boutiques sont hyper-chères on te regarde parce que t'es pas sapé comme tout le monde. C'est ça le racisme aussi, c'est une société anti-jeunes, c'est un racisme anti-jeune." Mais les sentiments de honte et l'image d'une situation d'exclusion ne provoquent pas une conduite homogène. Les acteurs oscillent entre deux orientations paraissant opposées.

 

chapitre 42

L'exclusion est vécue de façon globale à partir de la cité marginalisée par l'accumulation des problèmes et le mépris dont elle est victime. Naître ici, c'est déjà un handicap, c'est déjà être exclu. Sans même parler des Minguettes, de "réputationé nationale depuis les "rodéos" de l'été 1981, ou des cités de transit et de relogement, toutes les cités où nous avons travaillé ont mauvaise réputation. On les appelle des petits "Chicago". "On a une mauvaise image." "Quand tu cherches du boulot et que tu dis que tu habites aux Saules, c'est pas la peine, on te regarde de travers"

 

chapitre 41

La plupart des jeunes des groupes ne paraissent pas totalement pauvres. En tout cas, pour les vêtements, ils "s'arrangent". Mais si l'exclusion est relative, elle reste forte. "La société, elle offre des biens à consommer et on se sent exclu si on ne peut pas sortir, acheter des vêtements, aller en boîte..." Sans travail et sans études, on est tenu de rester à la cité, au club de jeunes, au café, sans consommer, et à force "ça prend la tête". L'école aussi rejette, la grande majorité des jeunes a raté ses études et se trouve à partir de seize ans dépourvue de diplômes et de qualification, après avoir parcouru les filières d'éducation spécialisée et marginale des collèges. "Aujourd'hui il faut le BAC pour être employé de banque.. Nous, on est fraiseur, tourneur, mécanique, tôlerie, c'est tout..." Et encore, la plupart n'ont pas de CAP

 

chapitre 40

L'exclusion prend aussi le visage de la pauvreté, dit Laurence : 80% des délinquants ne bouffent pas à la fin du mois. En plus, ils ont plus de seize ans et ne vont plus à l'école. Au niveau de l'aide sociale, tous les gens viennent se plaindre qu'ils n'y arrivent pas à la fin du mois. Ma voisine, elle a neuf gosses, elle travaille en usine, elle est pas souvent chez elle. Sa fille de quatorze ans va tirer des blousons à deux mille balles. Sa mère est au courant, mais qu'est-ce qu'elle peut faire?

 

chapitre 39

L'absence d'argent est un thème constant, la pauvreté cloue à la cité, empêche de participer à n'importe quelle activité de loisir. D'ailleurs, on n'ose plus quitter la cité par manque de vêtements à la mode, par la honte. Quelques-uns décrivent la recherche du travail, le pointage, l'échec répété, puis le découragement et le désespoir qui s'installent.

 

chapitre 39

Lorsqu'on fait des bêtises parce que les parents s'occupent pas assez de nous, les jeunes veulent être "compris" par la justice et par la police. Avec les juges accueillis dans les groupes, ils osnt entendus; avec les policiers, c'est beaucoup moins évident. "Déjà, quand ils vous regardent, ils vous défigurent." Pour les jeunes, la délinquance a des causes personnelles profondes et le sujet n'en serait, au bout du compte, pas responsable.

 

chapitre 39

Sans doute la délinquance est-elle vécue par les jeunes comme banale, mais ceci n'implique nullement qu'elle soit perçue comme morale, elle est vécue comme un effet de la désorganisation sociale et d'une crise personnelle. Cette image est d'autant plus crédible que les jeunes ne laissent probablement entrevoir qu'une faible partie de l'iceberg des souffrances provoquées par une situation familiale intolérable. Par exemple, lorsqu'apèrs une réunion qui se termine à dix heure du soir en plein hiver, les jeunes ne rentrent pas chez eux, cherchent encore à se réunir au pied d'une cage d'escalier, un square ou une cave, c'est, semble-t-il, beaucoup moins par respect d'un mode de vie aventureux que parce que beaucoup ne se sentent pas bienvenus chez eux. En tout cas, ceux qui rentrent à la maison sont enviés par leurs camarades qui ne les soupçonnent pas de conformisme. Quelques-uns évoquent directement les drames et les séparations familiales. Il faut rappeler qu'un tiers des enfants de moins de seize ans vivent dans des familles mono-parentales et que si rien ne prove que le divorce, comme tel, soit un facteur de problèmes, on peut supposer qu'il possède un effet d'aggravation.

 

chapitre 38

Une enquête montre ainsi que l'ensemble des jeunes explique moins la délinquance par des facteurs sociaux que par des problèmes personnels et familiaux; même si cette tendance décroït dans les milieux défavorisés, elle reste dominante.

 

chapitre 37

Evocation seulemetn parce que les jeunes parlent volontiers d'eux-mêmes et de la société, et très peu de leur famille. Ils préfèrent en parler indirectement, à travers les familles et les cas qu'ils connaissent, en dehors de leur propre situation. Si les enfatns sont des diables, c'est parce que les parents sont "dingues". "Il y a des parents qui partent bosser et qui enferment les gosses sur le balcon de l'appartement." Il y en a qui jettent un sandwich par la fenêtre pour le repas." La pauvreté le partage à la folie. On parle, souvent à Champigny, des enfants qui se font battre dans l'indifférence générale. Contrairement à l'image de la famille immigrée unie par la tradition, les jeunes suggèrent la désagrégation et une grande souffrance. Brahim explique : "J'accuse pas mes frères, mais il y a un laisser-aller qui se répand sur les enfants." Le père voit son autorité s'effriter et devient violent, les frères aînés, c'est-à-dire souvent les jeunes eux-mêmes, sont un bien mauvais exemple. Brahim ajoute que l'école a brisé les liens avec les parents. "Ca a cassé sur la scolarité. Autrefois, les parents, ils formaient un lot, ils avaient leur langage, ils avaeint leur rythme à eux." "On est attachés des deux côtés, mais ça explose." Majid parle de la violence de son père à laquelle il n'a échappé qu'en devenant plus violent encore. Les jeunes immigrés ne sont pas les seuls à évoquer de tels problèmes. Une fille parle de son frère de "père inconnu", une autre de ses parents "abrutis". "Je m'entends mieux avec la voisine qu'avec eux." Pourtant, Chantal aime bien ses parents mais elle ne parvient pas à leur parler : "Mes parents savent que je suis dans la merde, mais ils ne savent pas comment j'y suis! A quel point j'y suis! Ma mère, si elle voit la merde dans laquelle je suis, elle se tire une balle dans la tête, et ma mère, en plus, elle pourrait pas m'aider, hein! c'est pas possible!" Pascal : "J'ai trois frangins, plus ça va, plus les parents ils sont largués... C'est moi qui règle leurs problèmes, mes parents, savent pas quoi faire, c'est pas leur faute.. Mon père, il essaye de me parler, je le repousse. Des problèmes, je vois il y a des fois où ils pourraient en parler. Je sais pas comment les aborder et eux non plus ne savent pas comment m'aborder... Ils essaient de comprendre avec les idées qui sont vieilles, c'est ça le problème." Un autre jeune explique : "Mon père, il boit, moi, je fume du shit, et bien, je me considère pas moins que mon père." La misère n'explique pas tout : "Mon frère a quatorze ans, il fait tout le temps des conneries, pourtant, chez moi, on ne manque de rien."

 

chapitre 36

Les jeunes associent directement le thème de la pourriture du milieu de vie à celui des problèmes personnels. Ils élaborent spontanément une théorie de la délinquance centrée sur des dimensions psychologique de l'acteur, sur le fait qu'"con ne va pas bien."

 

chapitre 35

Ces sentiments de désorganisation sont si forts qu'ils conduisent les groupes, qui, nous le verrons, haïssent pourtant la police, à reprocher aux policiers de ne pas assez intervenir pour les protéger, d'abord contre les fous, ceux qui tirent et qui ont des chiens, mais aussi contre la délinquance dont ils sont alternativement les coupables et les victimes. Un garçon raconte sans rire qu'on lui a volé une mobylette qui lui rendait bien des services et qu'il avait d'ailleurs lui-même volée : "J'avoue franchement que le mec que je prends à piquer, je lui explose la gueule." Il faudrait une police lus ferme et plus efficace. Même aux Minguettes, pourtant en guerre avec la police, les jeunes demandent au commissaire de s'occuper d'eux en tant que victimes, de venir sur le quartier faire respecter la loi et l'ordre; la police devrait protéger les jeunes contre eux-mêmes et surtout protéger les enfants contre les mauvais traitements de leurs parents. Les appels à la police n'effacent évidemment pas la haine, mais ils indiquent que le sentiment de désorganisation est profond et qu'il n'est pas vécu comme une "différence culturelle", comme une habitude de vie autonome en butte au regard des étrangers, mais au contraire comme une destruction interne qui s'exprime là sans référence à un passé convivial, à la différence, nous le verrons, du discours des adultes.

Tuesday, May 22, 2007

 

chapitre 34

La délinqance de la cité est aussi la délinquance dans la cité et les voleurs volent d'aussi pauvres qu'eux. "C'est vrai que quand je rentre le soir, des fois après une heure du matin, je ne suis pas très fière, c'est problématique", dit Laurence en racontant les affaires de viol dont les victimes ne portent guère plainte parce qu'elles ont peur des représailles. "C'est vrai que le viol, t'en as ras le bol à la fin." Bien sûr, ce ne sont pas les quelques copains qui sont à craindre, mais au-delà, tout est possible, dans l'indifférence générale : "T'as qu'a te faire agresser, tu verras si les gens vont t'aider, ils veulent pas se mêler de ce qui les regarde pas. Même si ça les fait souffrir, tant pis, c'est chacun pour soi."

 

chapitre 33

La délinquance n'est, dans aucun cas, située à l'extérieur du groupe. Les jeunes l'évoquent sur le ton le plus ordinaire, ni héroïque ni honteux, elle fait partie de la vie même de la galère. Il paraît clair que presque tous on volé, ont eu affaire à la police, à la justice parfois pour des actes relativement graves. Un jeune du groupe d'Orly est inculpé pour homicide volontaire et en parle, lors de la rencontre avec la police, sans soulever d'émotion particulière. L'activité délinquante est présentée sur un mode banal et fait partie du tableau de la désorganisation. En effet, les dingues sont aussi des jeunes qui sont, comme les autres et peut-être plus encore, victimes de vols et des agressions.

 

chapitre 32

Les jeunes disent que les formes de solidarité banales de voisinage n'existent pas chez les adultes. "S'il manque de l'huile, la voisine n'en donne pas." "Tant qu'on connaît pas quelqu'un personnellement, il peut crever." Le groupe d'Orly illustre malgré lui cette indifférence lorqu'il apprend que deux copains viennent de se faire arrêter pour un casse dans un supermarché; les jeunes ne manifestent pas la moindre émotion, la moindre solidarité: "Ils ont fait les cons, attention, la connerie, ce n'est pas le cambriolage, mais de s'être fait prendre."

 

chapitre 31

Les gens ne se parlent pas, se méfient, sont agressifs et déxaxés. Parfois, lorsque les groupes s'échauffent, on se croirait dans un roman de Chester Himes et les histoires se multiplient. Les enseignant aussi paraissent fous et imprévisibles; il y a ceux qui tapent pour n'importe quoi et ceux qui se font taper, et les autres sont parfois tout aussi incompréhensibles : "Une fois, il y en a un qui m'a mis 13 en maths, j'ai jamais compris pourquoi, c'était pour avoir la paix" Les plus petits, les enfants, on les appelle les diables, "c'est les plus dangereux, ils cassent tout, ils piquent tout et font toujours des conneries" Ils semblent avoir le monopole des cages d'escaliers et le contrôle des boîtes à lettres. Tout cela va de mal en pis parce que ceux qui arrivent sont pires que les autres. Ceux qui restent à la cité n'ont pas pu faire autrement.

 

chapitre 30

Mais pour les jeunes, la pourriture n'est pas une simple affaire de décor. Elle est aussi faite de relations hostiles ou tendues. Il y a d'abord les chiens : "Je connais des types qui dressent des chiens. Je sais que ces mecs-là, ils les lâcheraient sur moi avec plaisir." Majid pense d'ailleurs que ces gens-là ne sont pas plus racistes ou violents que d'autres, ils se défendent et protégent leur cave et leur voiture."Ca mes démange de lâcher leur chien", ajoute Laurence. Vraies ou bien exagérées, les histoires de coups de fusil tirés au hasard d'une fenêtre du dixième étage se répandent dans toutes les cités. Chacune d'elles a le même "folklore" de violence. Dans un club de jeunes totalement délabré de Clichy, il n'y a plus de vitres mais du contreplaqué car toutes les vitres ont été brisées par balles. Téléphoner d'une cabine en état de marche relève de l'exploit et le supermarché ressemble à un camp retranché. Bien souvent, les jeunes décrivent les gens des cités comme des fous et comme des dingues". "Tu vois les bouteilles tomber du dixième étage, pour s'amuser, il y a des gens qui jettent des trucs par la fenêtre. Une fois, ça a été un gros cendrier... Souvent, il y a des mômes qui prennent du plomb dans le cul."

Monday, May 14, 2007

 

chapitre 29

Quel que soit l'interlocuteur du groupe, policier, juge ou travailleur social, les premières séances de travail des groupes de jeunes commencent par la description de la désorganisation sociale de la vie des cités. Le vocabulaire est toujours le même, celui de la pourriture et de la merde. "On est pourris, on vit dans un contexte pourri, on vit dans des bâtiments pourris" "Ici, c'est la merde." L'arrêt de bus s'appelle l'"arrêt de l'angoisse". La merde n'est plus pourri qu'ici, au contraire. Tout est minable et dégradé. Les gens sont pauvres, il n'y a rien, les commerces sont absents, quant aux loisirs proposés, ils ne correspondent pas à ce qu'un jeune peut souhaiter. A la cité des Saules, à celle de Bois-l'Abbée, aux Mordacs ou aux Minguettes, nous ne sommes pourtant ni dans des taudis ni dans des cités de transit, mais dans ces barres et ces tours banales où les murs sont décorés de graffitis, où les ascenseurs sentent l'urine, où chaque cage d'escalier abrite son groupe de jeunes qui "glandent", où les pelouses n'ont de champêtre que le nom. La pourriture, c'est d'abord la pauvreté et parfois même la misère. C'est aussi un décor; il est difficile de résister au climat déprimant d'une grande cité de H.L.M. en novembre à Champigny ou aux Minguettes durant l'hiver 1984, nous avons pu connaître quelque temps cette atmosphère grise où la seule sortie se borne vite à trainer du supermarché au seul café du centre commercial. "Le retour des vacances, c'est le retour dans la merde", dit-on aux Minguettes.

 

chapitre 28

Au lieu d'identifier chaque acteur à une position, à un projet ou à une stratégie, il fallait considérer que l'ensemble du groupe portait une multitude de significations relativement autonomes et que chaque jeune incarnait simultanément toutes ou presque toutes les significations. Non seulement il fallait abandonner toute idée de principe d'unité de chacun des jeunes, ce qui l'était encore moins. Le principale central de l'analyse devait être l'absence d'unité de chaque groupe et de chaque jeune. Ce n'est qu'au moment où ce renversement a été opéré que les jeunes ont accepté de se reconnaître, dans les quatre groupes formés dans les banlieues françaises, dans l'analyse proposée par les chercheurs. La galère est cette hétérogénéité même. Il fallait admettre, un peu contre tous les réflexes typologiques établis, que les jeunes étaient "tout à la fois", ce qui expliquait le déversement de discours et d'analyses éclatés, et le refus catégorique des jeunes de se laisser clore par l'un d'entre eux, de se laisser définir par une culture, par des normes propres, celles du quartier, de la bande ou de toute autre logique. Parce qu'elle est définie par l'éclatement, l'expérience de la galère ne peut être saisie par une méthode ethnologique à cause de l'absence de cohérence interne d'une culture, d'une idéologie, d'une vision du monde, d'un système d'attitudes personnelles.

 

chapitre 27

Dans le premier groupe, celui d'Orly, nous avons d'abord essayé, en bonne méthode, de nous faire une image de chaque jeune à partir de son statut et de ses choix. Certaines interventions des chercheurs ont essayé de vérifier ces premières images. Nous avons même proposé aux jeunes quelques "portraits sociologiques" à partir de leurs espoirs et de leur position sociale, à partir des logiques qui semblaient les animer. Toutes ces interventions n'ont fait qu'accroître la confusion et provoquer de l'agressivité, comme si la tentative d'introduire un ordre dans ce discours était inacceptable. Le plus souvent, les jeunes refusaient la différenciation et nous disaient : "Je suis tout à la fois" Etait-ce un réflexe de cohésion de groupe cherchant à préserver une unité? Cela paraissait peu vraisemblable parce que les jeunes ne formaient pas un groupe réel en dehors de la recherche et, dans l'intervention elle-même, le désir de fusion était beaucoup plus faible que celui de se distinguer, de s'opposer, tout en n'acceptant pas les clivages et les formes de classement que nous pouvions proposer. Personne n'acceptait de se reconnaître dans un engagement vers la délinquance ou dans une volonté de se ranger. Personne n'acceptait de se définir essentiellement par un désir d'intégration ou de mobilité frustré, ou bien par une stratégie de repli, ou encore par des rêves de fuite et de vivre autrement.

 

chapitre 26

Ce déversement continu de paroles qui est probablement un effet de la recherche fut à la fois une "bonne surprise" et notre premier problème en raison de la multiplicité et de la confusion des significations véhiculées par bribes plus que de façon organisée car, évidemment, ces groupes étaient en deça de toute idéologie construitej et de toute méfiance à l'égard du langage qui caractérisent les acteurs militants avec lesquels nous avions jusque-là une expérience de travail. Le discours des militants est dominé par un souci de cohérence, d'organisation thématique qui invite le sociologue à se défier de ce bel agencement. Celui de ces jeunes ne repose, au contraire, sur aucun ordre apparent et, pour le chercheur, le problème se renverse : comment dégager des articulations dans des propos que n'anime, au premier abord, aucune volonté de cohérence? Tout devient alors plus difficile parce que ce discours, souvent éparpillé et nébuleux, paraît se prêter à un jeu dinterprétations infini et arbitraire. Comment interpréter ce flot de discours incontrôlé, notamment sur les thèmes qui nous intéressaient le plus comme ceux de la délinquance, du travail, de la famille...? Tout paraissait se mêler, les discours de la frustration, ceux de la haine, ceux de la stratégie délinquante, ceux du repli et de l'anomie.

 

chapitre 25

Les jeunes avec lequels nous avons travaillé ne se perçoivent jamais et ne sont pas perçus par le voisinage comme des exceptions; ils semblent représenter une expérience commune à la plupart des jeunes du quartier. S'il fallait absolument choisir un indicateur, nous serions tentés de raisonner en termes de quartiers, de cités et de Z.U.P.., où se concentrent les " chances" de formation de la galère.

 

chapitre 24

Si l'on prend pour indicateur les populations touchées par les politiques qui s'adressent aux jeunes en difficulté, prévention, stage 16-18, puis 18-25 ans, opérations anti-été chaud, T.U.C..., plusieurs centaines de milliers de jeunes sont concernés. Mais là encore, il s'agit d'un indicateur très discutable. Le chômage lui-même, qui affecte près d'un million de jeunes, n'est pas forcément vécu sous la modalité de la galère. Toutefois, quels que soient les indicateurs choisis, il semble que l'expérience de la galère ne soit nullement marginale et que l'unité de compte se fasse en centaines de milliers.
Peut-on imaginer des indicateurs plus précis? Cela paraît difficile. La population délinquante recensée n'offre certainement pas une approximation satisfaisante parce que la délinquance de la galère, celle que les jeunes appellent les "conneries", des petits vols et des "magouilles", n'est pas, dans la plupart des cas, identifiée et recensée. Quant aux délinquants connus, ils ne procèdent pas nécessairement tous de la galère et beaucoup en sont sortis par une délinquance plus organisée. Il semble donc impossible de délimiter la population de référence et de dire combien de jeunes vivent l'expérience de la galère.

 

chapitre 23

Combien de jeunes en France sont concernés par la galère? A quel âge commence-t-elle, à quel âge cesse-t-elle? On pourrait dire qu'elle débute lorsque les jeunes sortent de l'école sans diplôme et sans perspective réelle de formation professionnelle et d'emploi, ce qui concerne évidemment un nombre considérable de jeunes. Mais cet indicateur reste peu fiable car tous les jeunes dans cette situation ne sont pas dans la galère, certains pouvant trouver auprès de leur famille, dans des réseauc d'emploi et d'apprentissage, des modalités d'intégration qui leur permettent d'échapper à la galère. Beaucoup peuvent être des chômeurs malheureux plus que des "galériens", comme nous le verrons dans une région de forte culture industrielle. A l'opposé, il arrive fréquemment que ceux qui poursuivent leurs études dans un L.E.P, un lycée et même une université, ou qui bénéficient d'un stage, d'un T.U.C. ou d'un emploi précaire soient plongés dans cette expérience. Les modalités de décrochage sont multiples et il semple bien difficile d'établir un parcours type.

 

chapitre 22

Un des problèmes rencontrés a été celui du langage. Il a fallu que les chercheurs bannissent de leur propos les termes technique ou jargonnants qui sont ressentis comme une violence et une exclusion. Une formule aussi usée que "j'entends bien ce que tu dis" provoque un double rejet : d'une part, les jeunes se demandent pourquoi l'interlocuteur prend soin de préciser qu'il n'est pas sourd et, d'autre part, cette formule laisse croire que le chercheur comprend dans le propos du jeune ce que lui-même n'est pas en mesure de comprendre, qu'il bénéficie là d'un privilège inacceptable. Le fameux "quelque part, provoque la même hostilité car la référence à l'inconsicient ne fait pas partie de la communication banale des jeunes et laisse percer un nouveau privilège de savoir d'autant plus rejeté qu'il n'est que suggéré. Faut-il pour autant parler comme les jeunes? Rien ne serait plus apprendre quelques mots d'argot. Les jeunes savent qui nous sommes et nous acceptent comme tels, quitte à se moquer parfois des "professeurs" Ainsi le mot "connerie", qui désigne la délinquance de la galère, est préférable à celui de délinquance qui évoque, pour les jeunes, une pratique plus organisée, généralement postérieure au passage en prison. Le mot "rage" est préférable à celui de révolte et le mot de "galère" lui-même, comme celui de gang dans la sociologie des années 1930, désigne une expérience de vie que le vocabulaire sociologique ne parvient pas à résumer. Ici, l'exotisme consisterait à traduire toutes ces notions en termes savants.
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Friday, May 11, 2007

 

chapitre 21

Ces jeunes sont socialement exclus, marginalisés par rapport à la culture scolaire, mais ils puisent dans d'autres sphères culturelles un bric-à-brac d'informations et d'idées qui leur permettent de réfléchir sur eux-mêmes. Ainsi, ils tiennent tête à un député, critiquent point par point la politique municipale, élaborent des "théories" de la délinquance et de la répression...

 

chapitre 20

Bien des interlocuteurs ont été stupéfaits par la capacité d'expression des groupes de jeunes. Le juge qui voit dans son bureau les jeunes effacés et timides les découvre bavards, raisonneurs, agressifs et sensibles. C'est évidemment la situation de recherche qui crée ce renversement et rien ne signifie que le discours du groupe soit plus "authentique" que celui que les jeunes tiennent dans le bureau du juge. Il est simplement différent et c'est à partir de là que l'analyse s'élabore parce qu'il fait surgir les dimensions cachées de la vie courante. De même les enseignants ont été étonnés de voir les jeunes développer de grandes capacités d'analyse alors qu'ils n'ont jamais voulu faire cet effort à l'école.

 

chapitre 19

Les propos des groupes de jeunes sont beaucoup plus éclatés, toniques et violents que ceux des adultes. Mais ils parlent des mêmes choses.

Thursday, May 10, 2007

 

chapitre 18

Les gens se posent les mêmes problèmes que les spécialistes, les mêmes problèmes que les jeunes. A partir de quand faut-il réprimer? Quelle liberté doit-on laisser? Que faire avec les immigrés? Plus "philosophique" encore, peut-on élever les enfants sans convictions morales et historiques? La vie privée ne s'épuise-t-elle pas lorsque'elle cesse d'être informée par des valeurs collectives?
De tels propos, à condition d'être formulés dans un espace dynamique et actif, face à des interlocuteurs qui incarnent d'autres positions, ne se réduisent jamais aux stéréotypes dans lesquels on les enferme trop souvent. C'est la méthode qui crée le stéréotype, la question pré-codée qui appelle les réponses banales. La "philosophie" du groupe d'adultes est beaucoup plus complexe qu'on ne le croit souvent. Les travailleurs sociaux ne sont pas aussi stéréotypés qu'on le dit et les gens ne sont ni des brutes ni des naïfs.

 

chapitre 17

Un observateur passant par là trouverait certainement que le discours d'un groupe d'adultes ressemble étrangement aux propos du "café du commerce", avec ce mélange d'anecdotes, d'affirmations de grands principes, de discussions à tout propos. Ce passant n'aurait certainement pas tort. Après tout, les groupes d'adultes parlent de tout et de rien, de l'éducation des enfants, de la vie des quartiers, du travail, de la politique, de l'école, du passé, de la religion... Ils parlent aussi de leurs problèmes personnels, souvent sur un ton douloureux , et des grands principes moraux, de la justice, de la liberté, de savoir ce qu'est un être humain.

 

chapitre 16

Le travail des sociologues consiste à lire les propos et la vie des groupes aux divers niveaux de l'action et à restituer ces lectures aux acteurs

 

chapitre 15

Les problèmes privés des relations des parents et de leurs enfants sont interprétés comme des problèmes généraux. Au contraire, les propos idéologiques généraux sont lus dans leurs effets directs sur la vie quotidienne. Ainsi, l'expérience du groupe devient l'objet de l'analyse et de la réflexion de tous. Lorsque nous travaillions, dans d'autres recherches, avec des militants, il fallait souvent faire descendre les grands principes idéologiques sur la terre des pratiques banales; ici au contraire, il faut arracher d'un engluement dans la vie quotidienne et faire monter vers les principes généraux qui orientent l'action.

 

chapitre 14

L'intervention sociologique est une procédure analytique dans laquelle se croisent les discours des acteurs et les analyses des chercheurs. Elle n'est pas une photographie des opinions mais un espace artificiel dont l'objectif est de renforcer chez les acteurs les capacités d'analyse et de réflexion. Les acteurs racontent leur vie, leurs problèmes et leurs rêves et, peu à peu, sont tirés en dehors de ces témoignages et invités à les analyser. Mais au lieu de tirer vers ce qui est le plus intime et le plus personnel, le chercheur introduit le "point de vue" des problèmes d'une société.

Friday, May 04, 2007

 

chapitre 13

chaque groupe a travaillé avec deux sociologues, l'un qui a contribué à la formation du groupe et l'autre plus extérieur. Ce travail a donc été réalisé par quatre chercheurs dans tous les cas. Trois chercheurs ont participé à l'ensemble de l'intervention, François Dubet, Adil Jazouli et Didier Lapeyronnie. Jean-Pierre Bartholomé et Bernard Franck ont fait la recherche à Seraing, Françoise Schaller a collaboré à la recherche d'Orly. Maria Luisa Tarres a participé à la recherche de Vénissieux. Dans chaque groupe, un troisième chercheur tenait le rôle de secrétaire de séance en établissant le compte rendu des discussions qui était remis aux groupes à la fin de la recherche. Afin d'éviter que les équipes de chercheurs exercent une influence constante, nous nous sommes efforcés d'établir des rotations pour ne pas reconduire des "couples" de chercheurs et pour que chacun travaille avec des jeunes et avec des adultes.
La gestion d'une telle équipe est assez lourde et afin de contrôler la démarcher et d'assurer une certaine intégration intellectuelle de l'ensemble de l'équipe, nous avons organisé des réunions de tous les chercheurs entre chaque séance de travail des groupes. Ces réunions permettaient d'informer chacun sur l'ensemble du procesus et, surtout, d'élaborer des interprétations que l'on essayait ensuite de "vérifieré dans les séances suivantes. Ces réunions ont été les véritables lieux d'élaboration théorique de la recherche, c'est là que l'équipe de chercheurs a produit et discuté les analyses qui sont aujourd'hui la matière de ce texte. La diversité de la composition de l'équipe a été d'une grande utilité. La présence de chercheurs belges, marocains et chiliens a pu offrir quelques garanties contres les risques d'éthnocentrisme face à une population culturellement diversifiée.

 

chapitre 12

La parole se libère à partir du moment où les jeunes ont conscience d'être mis par la recherche dans une situation d'égalité face à des interlocuteurs habituellement lointains ou méprisant. S'ils perçoivent que la recherche inverse un rapport habituel parce que les policiers et le maire sont venus chez eux, la recherche devient une sorte d'espace protégé, "gratuit", où tout peut se dire, y compris ce qu'on pensait ne pas savoir. Le dynanisme des groupes de jeunes a été lié au déroulement de cette première séance parce que si celle-ci déçoit, la plus grande partie du groupe lâchera la recherche. Cette fonction de constitution des groupe est moins forte chez les adultes où il semble que ce sont plutôt les séances sans interlocuteur qui soudent les groupes autour de problèmes plus intimes.

 

chapitre 11

Les interlocuteurs n'incarnent pas seulement un rapport social; ils sont les médiateurs privilégiés de certains thèmes de discussion et apportent souvent une information solide. Les enseignants permettent de parler de l'école, les travailleurs sociaux de la famille, les policiers et les juges de la délinquance, les syndicalistes du travail... C'est autour des interlocuteurs que se manifestent les orientations de chacun, qu'elles se construisent et se défont, sans qu'il s'agisse souvent d'une opinion aussi fortement structurée que celle qui peut se manifester dans une interview parce que l'interlocuteur possède une information, parce que les positions de chacun bougent et circulent dans le groupe. Les choix dominants sont plus subtils et plus complexes. Peu à peu, les groupes élaborent leur propre configuration face à ces interlocuteurs qui les déstabilisent toujours et créent des images imprévisibles. Cet effet est particulièrement sensible dans les groupes de jeunes qui en arrivent à tenir des propos à première vue contradictoires en fonction des interlocuteurs; le policier fait émerger un type d'orientations alors que l'enseignant en fait surgir un autre bien différent et le juge encore un troisième. Les interlocuteurs donnent aux jeunes une image éclatée d'eux-mêmes.

Wednesday, May 02, 2007

 

Chapitre 10

Chaque groupe de jeunes et d'adultes reçoit trois ou quatre interlocuteurs au cours de la recherche. Ces interlocuteurs remplissent un triple rôle.
Dans certains cas, notamment aux yeux des jeunes, ils incarnent des partenaires ou des adversaires précis et permettent d'observer un rapport social central dans la galère. C'est ainsi que chaque groupe de jeunes a reçu un policier. Souvent, ce sont les jeunes qui ont suggéré de recevoir tel ou tel interlocuteur, d'autres fois, ce sont les sociologues qui ont pernsé qu'une rencontre serait intéressante. Ainsi, les groupes de jeunes ont reçu, sur l'ensemble de la recherche, cinq policiers, deux juges, trois enseignants, deux syndicalistes, un patron, deux hommes politiques, trois travailleurs sociaux, un musicien. Le groupes d'adultes ont reçu trois juges, trois policiers, quatre enseignants, un patron, deux travailleurs sociaux, un avocat de l'association Légitime Défense, un homme politique.
Dans cet inventaire d'interlocuteurs, il n'y eut réellement que les policiers qui ont fait figure d'adversaire pour les jeunes. Ils symbolisent une domination et une exclusion. Dans un monde aussi diffus que celui de la galère, il reste malgré tout difficile de reconstruire l'école des relations sociales qui la constituent parce que les acteurs ont du mal à désigner leurs adversaires et leurs alliés. Ainsi, comment donner un visage au racisme puisqu'il se manifeste plus par une série d'attitudes de regards, de gêne, que de propos franchement hostiles?
De même, aucun enseignant ne peut réellement symboliser l'écherc scolaire aux yeux des jeunes.

 

Chapitre 9

Le choix des Minguettes avait été fixé depuis longtemps à cause des rodéos qui s'étaient déroulés dans cette cité durant l'été 1981, puis nous avons fait la recherche juste après la Marche pour l'égalité. Avec Clichy, nous désirions travailler dans une commne moins marquée par les grands ensembles "à problèmes". Seraing a été choisie de façon délibérée car c'est une très ancienne cité ouvrière, construite autour des aciéries, monde ouvrier menacé par la crise économique mais encore fortement organisé autour du parti socialiste et des syndicats. Toutes ces communes sont de taille voisine, entre cinquante et quatre-vingt mille habitants.

 

Chapitre 8

Pas plus que les groupes de jeunes, les groupes d'adultes ne sont "représentatifs", mais nous avons veillé à former des groupes hétérogènes. Il nous faut cependant souligner deux lacunes importantes : l'absence des parents immigrés que nous n'avons pu convaincre de participer à la recherche, il n'y eut qu'un seul Maghrébin, gardien d'immeuble aux Minguettes, et l'absence d'une sensibilité autoritaire, voire d'extrême droite, puisqu'une seule personne participati à une milice d'autodéfense. En général, ces personnes n'ont guère tenu à venir discuter.

 

Chapitre 7

L'ensemble des adultes qui sont directement concernés par les jeunes de la galère ne forme pas un système simple; les attitudes des parents, des enseignants, du voisinage, des policiers, sont loin d'être univoques même si toutes participent de la formation de la galère. Les enseignants et les travailleurs sociaux sont-ils de simples agents de contrôle, les policiers et les juges de purs agents de répression? Pour comprendre une expérience aussi flottante que la galère, il faut se débarrasser de ces images trop simples qui aboutissent le plus souvent à faire des jeunes de pures victimes ou de purs héros.
C'est à partir de ce constat banal que nous avons formé cinq groupes d'adultes sur le même principe que les groupes de jeunes. Dans chacune des communes où nous avons travaillé, nous avons formé un groupe d'adultes concernés par les problèmes des jeunes et par la participation à notre recherche. Par le réseau des relations qui s'offraient à nous, parfois par le porte-à-porte, par certaines association et d'une façon aussi chaotique et difficile que pour les jeunes, des groupes d'adultes ont été constitués. Pour moitié, ces groupes ont été formés d'acteurs qui s'appellent eux-mêmes les "gens", c'est-à-dire des parents, des gardiens d'immeubles, des ouvriers, des commerçants, bien souvent des personnes n'appartenant à aucune organisation mais intéressées par notre recherche. Les raisons de cet intérêt sont multiples. Il peut s'agir de personnes excédées par la petite délinquance et qui voudraient faire quelque chose. Il peut s'agir de personnes qui éprouvent des difficultés importantes avec leurs propres enfants. Parfois sont venus des militants de quartier et des parents d'élèves organisés. Il y eut aussi quelques ouvriers syndicalistes inquiétés par l'évolution de la société.
La seconde moitié des groupes était formée de professionnels, enseignants, travailleurs sociaux, policiers, que ce travail intéressait d'une façon plus particulière. Bien souvent, il s'agissait de personnes en rupture avec leurs certitudes anciennes et désireuses de réfléchir en dehors des cercles strictement professionnels. Tous ces acteurs sotn venus à titre personnel, ils n'étaient pas chargés de représenter leur profession ou leur service et, dans la majorité des cas, ces personnes ne se connaissaient pas et ne travaillaient pas ensemble. De même, elles ne connaissent pas directement les jeunes et nous avons veillé à ce que les adultes ne soient pas les parents des jeunes des groupes afin de ne pas alourdir le travail par des problèmes trop dramatiques et trop personnels.
Le premier groupe d'adultes, celui qui a travaillé durant les réunions du groupe de jeunes d'Orly, a été formé à Sartrouville. Par la suite, nous avons formé les groupes dans la même commune afin de faciliter le travail et surtout de permettre aux groupes de jeunes et d'adultes de réfléchir sur des situations proches. Dans le groupe de Sartrouville, l'influence des "gens" a été dominante. Le groupe de Champigny a été plus équilibré. Le problème des Minguettes étant surtout l'intégration des jeunes dans le système politique local, nous avons formé un groupe d'adultes composé presque essentiellement de professionnels souvent liés à la municipalité. Le groupe de Clichy, équilibré, était plus proche des classes moyennes. Enfin, dans le groupe de Seraing, nous avons privilégié l présence des ouvriers aux dépens de celle des professionnels. Dans l'ensemble, il s'agit de groupes assez "populaires", proches des parents des jeunes de la galère, et dans lesquels les femmes étaient nombreuses et très actives.

 

chapitre 6

Nous avons formé cinq groupes de jeunes. Le premier à Orly, âgé de 18 à 23 ans, était principalement rcruté dans la cité des Saules et composé pour moitié de Français et pour moitié d'immigrés. Il y avait deux filles et c'était un groupe plutôt détendu, parlant aisément et avec lequel nous avons construit les premières ébauches d'une analyse générale. Le groupe de Champigny était formé de jeunes de la cité des Mordacs, de celle de Bois-l'Abbée et du reste de la commune à partir d'un club de moto. Du même âge que celui d'Orly, avec quelques filles, il était formé de Français et d'immigrés. En revanche, le hasard de la constitution en a fait un groupe beaucoup plus violent, "enragé", que celui d'Orly. Ses capacités d'analyse ont été aussi plus fortes sans que cela tienne à la situation sociale des jeunes, qui étaient tout aussi chômeurs et délinquants que ceux d'Orly. Nous verrons que c'est la rage elle-même qui peut expliquer cette capacité de réflexion sur soi. Le groupe de Vénissieux a été formé aux Minguettes au lendemain de la Marche pour l'égalité partie de la cité à l'automne 1983. La constitution de ce groupe n'a été possible que par la longue présence d'Adil Jazouli dans la cité. Ce groupe, dans lequel les immigrés étaient très majoritaires, était aussi âgé de 18 à 25 ans, avec trois filles, et formé pour moitié de militants de la Marche et pour moitié de jeunes qui avaient suivi le mouvement de beaucoup plus loin. Ce groupe a été le plus chaud à causes de la proximité de la Marche et du caractère particulier des Minguettes. Nous nous sommes retrouvés à quarante dans la salle; d'autres jeunes voulaient assister à la recherche, à la fois par curiosité et pour "surveiller" ceux qui parlaient en leur nom. Ceci n'a pas été sans provoquer des incidents qui ont été utiles dans la recherche. En France, le dernier groupe a été formé à Clichy. Sa principale caractéristique a été sa beaucoup plus grande jeunesse puisque la majorité des jeunes avaient de 16 à 18 ans. Le groupe de Clichy a été moins actif que les autres, mais sa jeunesse nous a donné des informations importantes.
Le cinquième des groupes de jeunes a été formé à Seraing, ville ouvrière traditionnelle de la banlieue de Liège, par une équipe de sociologues belges. Ce groupe était aussi âgé de 16 à 23 ans avec quelques filles et un nombre important d'immigrés italiens. Il nous a servi de point de comparaison par rapport à l'expérience de la galère qui caractérisait les groupes français. Nous avons travaillé en Belgique avec la même technique que dans les autres cas. Dans l'ensemble, c'est une soixantaine de jeunes qui ont participé à cette recherche qui s'est déroulée durant environ cent cinquante heure de travail.

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